L’Ecole Gendarmerie se souvient
Le Général (2S) Thierry BOURRET, commandant l’école gendarmerie de Tulle a en 2018 décidé la mise en place d’un nouveau projet pédagogique. Pour cela il a créé une zone opérationnelle afin de mettre les élèves gendarmes en conditions opérationnelles. Lors du passage de la division Allemande à Tulle en juin 1944, un résistant avait été tué sur la colline de « La Bachellerie » à l’intérieur de la caserne de l’école gendarmerie. L’école a donc prévu un devoir de mémoire et érigé une stèle souvenirs qui a été inaugurée le 8 juin 2020.
Joint le discours du général qui reprend toutes les recherches et renseignements sur cette affaire, avec les photos de la stèle et de l’implantation d’une plaque.
Monsieur le Préfet de la Corrèze, • Monsieur le représentant du président du conseil départemental, • Monsieur le représentant de la ville de Tulle, • Monsieur le directeur de l’office national des anciens combattants et victimes de guerre, • Madame la présidente nationale du comité du souvenir français, • Monsieur le président du comité des martyrs, • Monsieur le président de l’association des anciens combattants et amis de la résistance, • Monsieur le président du mémorial Corrézien de la résistance, de la déportation et des martyrs de la Corrèze, • Monsieur BEAUBATIE, • Cher Monsieur CATTÉ, • Chère Madame BOUILLEAU
A la fin de l’année 2018, l’école de Gendarmerie a décidé de mettre en œuvre un projet très ambitieux de rénovation de ses méthodes pédagogiques. Elle a choisi de construire un site d’immersion opérationnelle afin de mettre ses élèves au coeur des situations de terrain qu’ils seront appelés à traiter. Ainsi, une « vrai » brigade de gendarmerie a été créée insérée au milieu d’une vaste zone de vie avec ses commerces : garage, banque, épicerie, pharmacie …, son camping, sa ZAD et même très prochainement son avion crashé sur la colline de la Bachellerie.
Durant les travaux de réalisation, notre attention a plus particulièrement été attirée par la mise à jour de fondation de ce qui avaient du être des sanitaires … Intrigué par ces vestiges assez insolites, des explications ont été recherchées. Un vieux Major de la Gendarmerie en retraite nous a apporté une premier élément en nous disant que cette structure avait été sûrement construite par les allemands qui occupaient la colline de la Bachellerie durant la seconde guerre mondiale. Il nous a aussi précisé à cette occasion qu’un résistant avait été tué par les allemands sur la colline durant les évènements des 7, 8 et 9 juin 1944 mais sans pouvoir apporter plus de précision.
– 2 – Soucieux d’en apprendre plus pour honorer la mémoire de cette victime mais aussi fournir à nos élèves un exemple d’engagement à suivre, nous avons entrepris de démarcher ceux qui pourraient nous apporter des réponses. C’était une tâche difficile car beaucoup de temps s’était écoulé et les mémoires commençaient à s’effacer. Sollicité par le commandant de l’école à l’occasion d’une prise d’arme, Monsieur Jean-Pierre VALERY, président du mémorial Corrézien de la résistance, de la déportation et des martyrs de la Corrèze, s’était montré désolé de ne pouvoir apporter d’information sur ces faits. Mais … il connaissait quelqu’un qui pourrait nous aider. Ainsi, il nous mettait en relation avec Monsieur Beaubatie, historien, qui allait faire un travail des plus remarquables et nous apprendre qu’il n’y avait pas eu « une » mais « quatre » victimes sur le site de la Bachellerie durant les évènements de juin 1944. C’est cette histoire que je veux vous raconter afin que ces victimes ne soient pas oubliées et qu’elle puisent être enfin honorées comme il se doit par un plus grand nombre de personnes. *** Le 7 juin, très tôt le matin, les hommes de la 234e Compagnie FTP, ont pris la direction de La Bachellerie avant de passer à proximité de Blaye, où se trouvait un observatoire allemand, qu’ils ont cru inoccupé. En effet à partir de 1943, les Allemands y avaient installé une petite garnison d’une dizaine d’hommes. Pour la protéger, des tranchées furent creusées, des fils de fer barbelés posés, un canon léger mis en place et, sur le sapin le plus haut, un poste d’observation installé qui bénéficiait d’une vue remarquable, notamment en direction de la Manufacture d’armes de Tulle. Sur le chemin de la Bachellerie-Blaye » situé un peu en dessous, vers 10 heures, le groupe FTP dans lequel se trouvait Marcel Chassaing, alias Cagnoux, né le 15 mai 1922, fils d’agriculteurs demeurant à Vieillemaringe, commune de Saint-Paul fut « arrosé par des rafales de mitrailleuse allemande, créant un mouvement temporaire de panique chez les résistants. Se ressaisissant très vite, ces derniers obligèrent les Allemands à rentrer dans leurs abris … Malheureusement, Marcel Chassaing avait été grièvement blessé et conduit à l’hôpital de Tulle, il devait y décéder le lendemain. Il n’avait que 22 ans. Le lendemain 8 juin, le drame allait se poursuivre avec le décès cette fois de civils innocents. Dans la soirée du 8 juin, des soldats SS, appartenant à la division Das Reich, allaient en effet faire irruption dans une propriété située à la limite Nord de l’école, sur l’itinéraire de la procession de la Lunade et dans laquelle vivaient les familles Presset (au rez-de-chaussée) et Bordes (au premier étage). Pour des raisons encore aujourd’hui inexpliquées, des coups de feu allaient être tirés.
– 3 – Deux personnes perdirent la vie : le fils Joseph Presset, âgé de seulement 15 ans, et le gendre, Louis Chauzeix, âgé de 23 ans. Madame Marie-Louise Presset, son autre fils Marcel, et le père d’André Bordes furent également blessés. Jean-Antoine Presset, traumatisé, devait décéder peu après. Et à cet affreux bilan, il fallait encore ajouter la disparition, dans des conditions on ne peut plus horribles, de Madame Marcelle Catté, née Marcelle Carré, réfugiée à Tulle et âgée de 26 ans. Mère de quatre enfants, elle résidait place Clément-Simon, en face de la cathédrale de Tulle. Il lui arrivait de « monter » à La Bachellerie afin de se ravitailler pour procurer à sa famille du lait, des oeufs et des légumes ; et ce jour là justement elle se trouvait à la ferme Presset – Bordes. Atteinte par une balle, elle parvint à sortir de la cour et à se traîner jusqu’à un fossé, jouxtant la Croix dite de La Bachellerie, où elle agonisa la nuit entière, enserrée par les petits bras de sa fille Anne-Marie, qui n’avait que 4 ans et demi. Traumatisée à jamais, cette enfant racontera une fois devenue adulte cette terrible scène dans une lettre que Monsieur Beaubatie a su retrouver et dont la lecture ne peut laisser personne indifférent. Laissez-moi vous la lire : Lettre « Le sang de ma Mère »
« A la nuit tombante du 8 au 9 juin 1944, nous étions nombreux autour de la grande table de ferme pour le dîner. Je me souviens, je commençais à peine la soupe lorsque j’ai vu surgir des soldats prêts à tirer avec leurs armes : ils criaient des ordres… Nous sommes tous sortis dans la cour de la ferme, plusieurs les mains en l’air. Ma mère, elle, me tenait par la main : elle portait mon petit frère, quinze mois, dans l’autre bras ; elle devait lui donner la bouillie quelques instants avant. Puis, soudain, elle est rentrée, se dirigeant dans une chambre où se trouvait ma petite sœur. Les Allemands SS l’ont menacée de leurs armes ; elle est ressortie sans ma sœur. Dehors, le massacre avait commencé. Alors, ma mère croyant leur échapper s’est mise à courir avec nous deux. Mes petites jambes ont bien sûr freiné sa fuite. C’est alors qu’un soldat SS a tiré ; il l’a mitraillée. Elle me tenait par sa main gauche ; j’ai senti le sang jaillir sur ma tête, mon corps. Elle est tombée…
– 4 – Nous étions arrivées juste à la limite de la cour, dans le fossé qui borde la route. Je me suis retournée, il était là, l’arme encore pointée dans notre direction. Je me suis mise à hurler, oui à hurler « Maman, Maman » et je me suis couchée contre ma mère. Elle perdait son sang… J’ai été épargnée. J’entends encore mes cris stridents se mêlant aux crépitements des fusils et des mitraillettes… ». … Quand on songe à ce qu’à dû ressentir au plus profond d’elle même cette petite fille, comment oublier un tel drame ? Personne ne peut rester indifférent.
C’est en éprouvant cette même émotion qui nous avons voulu sortir de l’oubli les noms de ces quatre victimes qui ne méritaient pas d’être oubliés tant pour l’engagement dont avait fait preuve Marcel Chassaing que pour l’innocence de Joseph Presset, de Louis Chauzeix, de Marcelle Catté et de sa petite fille Anne- Marie marquée à jamais. Aussi, pour éviter que le souvenir de ces drames ne s’efface définitivement, il nous est apparu bon de construire une stèle et de reproduire la lettre d’Anne-Maries qui au-delà de ces drames serviront d’exemple à nos élèves qui ont choisi d’exercer une profession les conduisant à protéger leurs concitoyens et servir leur pays.
Le choix de ce site s’est imposé à nous pour les raisons historique que vous connaissez maintenant mais aussi parce qu’il est le lieu de souvenirs : – où trois écoles militaires se sont succédées, – où des centaines de promotions d’élèves y ont été formés, – où de nombreux ouvriers de la manufacture de Tulle y ont trouvé une seconde carrière, apportant avec eux la mémoire de métiers oubliés.
De fait, ce constat oblige : le site de la Bachellerie mérite d’être mieux reconnu comme lieu de mémoire du 20ème siècle.
Cette ambition constitue désormais un pan entier du projet de notre établissement qui se traduira par : • un travail de mémoire à l’adresse des élèves de l’école sur les événements de 1944, qui pourrait associer des acteurs de l’amitié franco-allemande et des associations locales dans le cadre de l’autre grand projet que porte l’école, à savoir développer des formations européennes ERASMUS ;
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• une mise en valeur de l’histoire du site et des écoles qui s’y sont succédées à destination des visiteurs à l’occasion par exemple des journées du patrimoine et d’événements particuliers justifiant des journées « porte ouverte ;
• la conservation du souvenir des promotions, intégrant les traces numériques, en vue d’offrir aux anciens élèves de l’école un lieu de mémoire et d’appartenance.
Ainsi, cette cérémonie a vocation à devenir la pierre fondatrice d’un devoir de mémoire, à partir de laquelle seront honorés comme il se doit ceux qui ont perdu ici la vie le 8 juin 1944.
* * * Je vous remercie de votre attention et j’invite et Monsieur CATTÉ, fils de Mme CATTÉ, accompagné de Madame BOUILLEAU, à venir dévoiler la stèle portant les noms de ces quatre victimes et la plaque intitulée « Le sang de ma mère ».
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